Page perso de Loïc Dayot

L’animation pédagogique dans les Espaces publics numériques

janvier 2002, par Loïc Dayot

Il est bien difficile de répondre à la question "comment animer un EPN ?" telle qu’elle a été posée par un animateur sur la liste [epm] il y a quelques semaines. Le plus souvent, les EPN ont, entre autres, pour mission l’appropriation par les usagers de l’outil informatique et multimédia. Doit-on préférer, pour cela, la lecture de documentations, les travaux dirigés, le tâtonnement, la construction de projet, le cours, l’échange entre les usagers, l’autoformation ?

L’atelier a été organisé dans le cadre des rencontres d’Autrans 2002. Ses participants ont été en majorité des animateurs(/trices) d’EPN venus pour la première fois à ces rencontres.

Il a été proposé de partir des pratiques de terrain exposées par les animateurs multimédia présents, et de les resituer parmi les courants pédagogiques. Chaque courant abordé est rapidement décrit et quelques applications caricaturales sont exposées, ainsi que ses avantages et inconvénients. Les animateurs se sont prêtés au jeu très facilement.

Nous sommes partis du cas très concret de l’apprentissage du maniement d’un logiciel simple. Des animateurs se sont exprimés et ont raconté comment ils s’y prenaient pour aborder les premiers pas des usagers dans le traitement de texte.

NB : Pour pouvoir resituer les pratiques dans des courants, la présentation de ceux-ci a été délibérément caricaturale, dans un souci de simplification.

J’explique / je montre comment faire.

Il s’agit d’un courant transmissif ou "d’enseignement traditionnel". Le principe en est que l’apprenant est un réceptacle à informations qu’il faut lui transmettre. Le "professeur" a un rôle hégémonique. Les applications les plus connues sont le cours magistral ou les travaux dirigés.

Cette méthode présente l’avantage d’être très rapide et peu coûteuse en moyens. Elle est plutôt élitiste parce qu’elle ne convient qu’aux "élèves" ayant un profil "scolaire". Il y a complète hétéronomie (contraire de l’autonomie) de l’apprenant vis à vis de l’animateur. Cette méthode peut être efficace pour des connaissances notionnelles (des informations), mais pas pour celles procédurales (savoir-faire) ou celles cognitives (savoir-savoir).
C’est une pratique "naturelle" d’enseignement. Mieux vaut y réfléchir un peu plus. On oublie souvent qu’il est possible d’apprendre en consultant une documentation ou une aide en ligne ou encore en demandant à quelqu’un parce qu’on en a besoin...

Je donne une suite d’exercices simples à réaliser.

Cette pratique s’apparente à l’associationnisme. Le principe en est que l’on apprend par les conséquences de nos actes. Il s’agit d’un conditionnement.

C’est souvent le principe des didacticiels, les exercices dirigés, les QCM, les Quizz...

Il peut y avoir interactions et échanges, mais tout est programmé par l’animateur.

Méthode rapide, efficace quand les notions sont très délimitées.
Pas de réflexion sur ces savoirs. Hétéronomie de l’apprenant, pas de différenciation au style. Dépendance de l’apprenant au formateur qui organise tout, guide...

Je défi les apprenants de réaliser un document. Je les aide à dépasser l’obstacle. Je propose un nouveau défi plus compliqué et on recommence.

Le principe de cette méthode est qu’on apprend à partir du groupe, avec l’aide de l’animateur, ce qu’on pourra faire seul plus tard (zone de proche développement). Ce sont les courants médiationnels.
Il faut prévoir dès la départ ce qui sera confié aux apprenants et ce qui sera divulgué (désétayage). L’animateur est un médiateur. Chacun a l’occasion de s’exprimer, d’apporter ses compétences ; il y a autonomie des apprenants. Cela favorise la remise en cause des solutions (entre autres choses). Il faut beaucoup de temps pour le collectif puis pour chaque individu pour réinvestir seul.

J’invite les usagers à réaliser un dossier sur un sujet qui les intéresse. Ils vont apprendre en faisant ce dossier.

Cela ressemble beaucoup à de la "pédagogie de projet" qui est lente mais confère aux apprenants un rôle d’acteur. Cette méthode est une suite logique du constructivisme (on apprend par l’action réelle dans et surtout sur l’environnement). On peut avoir recours à des ateliers de libre découverte, d’outils de simulation, de tâtonnement expérimental. L’apprenant est autonome et peut facilement réinvestir ses acquis dans sa pratique. Cette méthode prend du temps et des moyens.

La suite logique de cette méthode a été le socio-constructivisme (ou psychologie sociale génétique) qui fait intervenir la dimension collective et l’affectif dans le processus. Le principe en est qu’on apprend grâce à la confrontation avec les pairs. Les applications sont nombreuses : apprentissage coopératif, débats, échanges, projets collectifs... Il y a autonomie du groupe, l’animateur a un rôle important pour poser le climat détendu nécessaire. Cela demande de la préparation, du temps et des moyens.

Réaliser un document sur un sujet décidé par l’apprenant. On apprend en faisant, au fur et à mesure, lorsqu’on en a besoin.

La prise en compte de la motivation et de l’affectif est assez récente. La théorie de la motivation humaine prend comme principe que l’apprentissage est avant tout gouverné par un projet ou un but. L’apprenant fait parti du processus de formation. Il accepte les efforts parce qu’il a un but qu’il a décidé d’atteindre. Ce principe peut prendre la forme de l’autoformation, de formation individualisée. Il faut prévoir à l’avance des contenus adaptables.

Puis une question a suivi, partant d’une constatation simple :

La plupart des gens ont appris l’informatique de manière autodidacte. Est-ce que cela correspond à un modèle d’apprentissage ?

(Estimation 1998 : 80% de la formation continue se fait grâce à l’autodidaxie.)

On pourrait dire que cela correspond à la théorie de la motivation humaine, mais il serait plus juste de s’écarter des modèles pédagogiques pour s’orienter vers des modèles politiques ou sociaux.

Ces modèles communautaires ou humanistes ne cherchent pas l’acquisition de compétences, mais la qualification sociale. En plus des expériences individuelles majoritaires, les expériences organisées sont par exemple les réseaux d’échanges de savoir, les projets socioculturels, les politiques de publics, les lieux ouverts/ressources. Le principe en est que chacun a sa place dans une société qui bouge. Ce type d’approche n’est possible que s’il n’y a pas un projet plus global que le simple multimédia dans la structure ou sur le territoire. C’est une négation du "pédagogique" ou du "didactique" pour privilégier l’apprentissage "naturel", comme le pratique le grand frère qui apprend à sa petite sœur.
On peut remarquer que ces modèles ressemblent beaucoup au fonctionnement de l’internet non commercial : le développement coopératif des logiciels libres, les mise à disposition des travaux et les échanges entre universitaires, les "initiatives d’actions citoyennes"...

Encore des questions pour terminer (l’atelier, mais pas la réflexion) :

Alors, quelle méthode employer, quelle est la meilleure ?

Et bien sans doute un peu de toutes, suivant les contraintes, les objectifs socioculturels, l’envie. Chaque méthode peut présenter un intérêt à un moment. Les conditions dans lesquelles travaillent les animateurs dans les EPN ne sont pas identiques, les publics accueillis non plus ; les possibilités offertes seront limitées à certaines méthodes. Aucune méthode ne peut être qualifiée de "meilleure". C’est une question de choix pédagogique, donc politique (au sens large). L’animateur a une grande responsabilité dans la relation pédagogique. Mieux vaut souvent qu’il soit à l’aise avec une méthode qu’il a choisie ; plutôt que récalcitrant en pratiquant une méthode qu’on lui impose. Cela n’empêche nullement l’expérimentation, il faut bien s’essayer et mettre au point sa pratique avant qu’elle tourne rond.

Confronté à un public de faible niveau de qualification, parfois ayant connu un échec scolaire, quelles sont les méthodes qui n’aggravent pas les exclusions ?

D’une manière générale, il est préférable d’éviter de recourir aux méthodes traditionnelles de transmission qui ne seront efficaces que pour des "élèves idéaux", ainsi qu’aux méthodes associationnistes qui ne s’adapte pas aux styles des apprenants.

Tous les courants n’ont pas pu être abordés, certains ont été seulement survolés, car les échanges entre les participants ont été privilégiés.

Quelques discussions après l’atelier ont témoigné de l’intérêt des animateurs(/trices) pour cette réflexion et leur ont ouvert, pour certain(e)s, de nouvelles voies dans leurs pratiques de tous les jours, notamment la possibilité d’ancrer les apprentissages dans des "projets" pour leurs publics.


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