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Une charte de l’animateur d’ateliers d’espace public multimédia

mardi 20 février 2007, par Loïc Dayot

Et si on arrivait à écrire en quelques pages ce à quoi devrait penser l’animateur lorsqu’il encadre un atelier collectif dans un espace public multimédia. De ce défi et de deux réunions d’équipe à l’Arobase de Pierrefitte (93) est né ce document de travail. S’il peut être utile à qui en aura besoin, tant mieux.

Bien préparer son atelier

C’est une des clés de son bon déroulement. Un atelier bien pensé, bien préparé, n’est pas suffisant pour être réussi, mais c’en est une clé presque indispensable.

Pour cela, outre les autres recommandations ci-dessous, on peut se reporter au document « Guide projet d’animation ». Un atelier bien préparé comporte les éléments suivants :

 Titre de l’atelier

 Le public et le cadre

 Les objectifs de l’animation :

  • Objectifs en terme de savoir (connaissances)
  • Objectifs en terme de savoir-faire (compétences)
  • Objectifs en terme de savoir-être (comportements, méthode)

 Les moyens

  • Le scénario général
  • La liste des séquences prévues, le planning
  • L’issue de l’animation
  • Le matériel disponible, nécessaire

 L’évaluation

Mis à part pour les ateliers basiques, orienter l’atelier vers un ou des usages.

Quand les usagers sont vraiment débutants, il ne savent pas encore ce qu’ils vont faire de l’informatique. Ils vont suivre les ateliers de base : prise en main de l’outil informatique, repérer les outils, ranger ses données, traitement de textes, tableur, navigation internet, courriel, image, son.

Ce n’est qu’une fois initiés un minimum qu’ils peuvent se diriger vers tel ou tel usage.

Un usage rassemble une pratique et une finalité. Quelques exemples d’ateliers orientés usage : réaliser une carte de vœux.

Annoncer les objectifs aux apprenants.

L’annonce des objectifs signifie qu’on ne cache rien, il n’y a pas de crypto-dogmatisme, on ne manipule pas les usagers.

Pour leur formulation, on peut suivre les recommandation de la Programmation par objectifs (PPO). Ils doivent concerner les apprenants, comporter un verbe comme connaître, savoir faire, savoir qu’existe, savoir réaliser, et enfin être évaluable en fin d’atelier (ou de cursus). Par exemple : « que les apprenants connaissent la différence entre le pointeur et le curseur sur l’écran graphique ».

C’est aussi très lié à l’évaluation finale. On ne se rend compte qu’on a appris des choses que parce qu’on se le dit et qu’on pointe ces choses. Même dans un atelier de deux heures, les usagers ont appris.

Ne pas perdre une occasion de réflexion sur ce qu’on utilise (mission de culture scientifique et technique)

Quand on fait une initiation sur la navigation, on se pose la question « qu’est-ce que c’est le web ? ». Pourquoi l’image de la toile ? Que se cache-t-il derrière une page html (le code source) ?
Par ailleurs, ce travail d’épistémologue est le plus souvent nécessaire pour l’animateur lorsqu’il prépare son atelier. Les meilleurs ateliers préparés ont souvent été ceux sur lesquels on se prend la tête : avant de commencer la préparation de l’atelier sur l’initiation au tableur, il est bon de se poser la question de ce qu’est un tableur. Une fois la réponse partagée, l’atelier est déjà presque prêt.

Pour préparer l’atelier sur le HTML, il faut d’abord se poser les questions : qu’est-ce que c’est que du HTML, qu’est-ce que c’est qu’une balise, qu’est-ce qu’un hyperlien.

La mission de culture scientifique et technique est essentielle pour les EPN : ils sont presque les seuls à pourvoir (et donc devoir) effectuer cette mission. Elle responsabilise les usagers. C’est un service en faveur de la démocratie.

Cela peut concerner la législation, les licences, l’économique, la sociologie. Toutes les occasions sont bonnes pour réfléchir à ce qu’on va faire et aux outils.

Préférer orienter les usagers vers des médias qu’ils pourront retrouver de manière autonome

Cela veut dire que pour chaque atelier, l’animateur amène les livres de la bibliothèque, donne quelques liens utiles avec des tutoriels, invite à utiliser l’aide en ligne ou à demander conseil au voisin. Le savoir n’est pas détenus que par l’animateur, ce qui le rend moins indispensable pour les usagers qui sont alors invité à chercher l’autonomie.

C’est un effort à faire car ce n’est pas très naturel pour l’animateur. La contrainte des deux heures n’aide pas. Mais amener les ressources, même sans si elles ne sont pas utilisées, est important pour que les usagers sachent que ça existe.

Vocabulaire : on a tendance à utiliser le vocable « transférer des compétences » alors que ça peut faire penser que le transfert vient de l’animateur vers les apprenants. Mieux vaudrait sans doute parler d’« acquérir des compétences ».

Présenter, si ce n’est utiliser, une diversité d’outils techniques.

Par exemple, lors de l’initiation au traitement de textes, il est intéressant de voir plusieurs traitements de textes. On ne forme pas les usagers à un outil de tel éditeur, mais à la pratique de n’importe quel traitement de textes.

On peut espérer que si dès le départ les usagers voient plusieurs traitements de textes, ils retrouvent les nombreux points communs, et ne seront pas déboussolés lorsqu’ils auront à utiliser un traitement de textes inconnu.

On peut les initier sur des logiciels libres, les leurs conseiller pour diverses raisons (éthiques, format des données, pérennité, gratuité). C’est à eux ensuite de faire leur choix. On leur aura donné tous les éléments pour qu’ils s’en sortent.

Favoriser les échanges entre les apprenants.

Ce n’est pas du tout évident. C’est à penser dès la conception de l’atelier par l’animateur. Est-ce qu’à un moment, les usagers auront à parler entre eux au cours de l’atelier ?

On peut aussi profiter des différences de niveau entre les apprenants pour les inviter à s’entraider.

Par exemple, lors de l’apprentissage du clavier, si on utilise du babillage, on sait que les usagers vont naturellement plus se parler que de parler.

Autre exemple : organiser un cadavre exquis (chaque usager tape un morceau de phrase puis se déplace sur l’ordinateur du voisin pour continuer la phrase), puis prévoir une pause à la suite. On sait que pendant cette pause, les usagers vont aller lire toutes les phrases sur tous les ordinateurs et discuter entre eux de manière informelle. La pause fait partie de l’atelier.

Faire des ateliers collectifs.

Être plusieurs ne suffit pas à ce que la séance soit collective. Un cours magistral ou une séance de travaux dirigés/pratiques peut ne pas être très différent selon le nombre de participants.

Un atelier réellement collectif se prépare dans ce sens. Il facilite les échanges (voir plus haut) mais aussi prévoit des activités communes, fait intervenir les apprenants devant tous (et pas seulement l’animateur), fait partager les ressources.
Un bon moyen de savoir si un atelier est collectif ou non est de compter le nombre d’échanges verbaux entre les apprenants contre le nombre d’échanges avec le formateur.

Un projet collectif sera plus motivant, plus ambitieux, facilitera l’entraide et les échanges que des activités individuelles. Ces dernières ne sont pas pour autant à bannir. Un équilibre est à trouver et dépend de l’atelier.

Par exemple, un atelier d’initiation à la manipulation de sons peut inviter les apprenants à réaliser un dialogue entre leurs ordinateurs. Le projet même ne peut être que collectif. Lors de l’apprentissage de la souris, il est possible de pratiquer certains jeux en réseau...

Ne pas monopoliser la parole, ni le crayon, ni le vidéoprojecteur.

Dans la même veine que les points précédents, il convient que la place de l’animateur ne soit pas trop importante au cours de l’atelier. Elle peut être éventuellement centrale si la session s’y prête, mais pas dominante. La raison tient à la confiance en soi, donc à l’estime de soi, donc à la responsabilisation des apprenants dont ils se souviendront une fois l’atelier achevé. La responsabilité est un préalable à l’autonomie.

Un critère pourrait être : l’animateur ne prend pas la parole plus de la moitié du temps de parole. De même avec l’utilisation d’un support écrit (tableau), on ne se rend pas compte du pouvoir symbolique énorme que représente la détention du feutre. Partager ce pouvoir avec les apprenants est un bon moyen de rééquilibrer un atelier trop centré sur le formateur.

Lorsqu’au cours d’un atelier, un exercice donne lieu à une démonstration de solution, pourquoi ne pas confier le poste branché au vidéoprojecteur à un des apprenants plutôt que ce soit l’animateur qui fasse ?

Pour répondre, encore faut-il qu’il y ait une question.

Autrement dit, des connaissances peuvent être amenées si elles répondent à un besoin, un désir. La réponse est d’autant mieux assimilée que la question vient des usagers. L’animateur doit là encore trouver le bon équilibre entre poser les questions lui-même, et faire en sorte que les usagers se posent les questions sans trop de manipulation.

L’animateur peut se servir comme guide du déroulement suivant :
 1.Phase contact
Au cours de cette phase qui peut être assez courte, l’animateur suscite la curiosité, éveille les interrogations. Elle peut prendre différentes formes : démonstrations, phase sauvage, dialogues...
 2.Phase apprentissage
Cette deuxième phase sert à répondre aux questions, donc à comprendre/apprendre. L’apprentissage peut prendre différentes formes là aussi, à choisir suivant le contexte, le public et le contenu : cours, médias, exercices dirigés, mini-projets (ou défis), etc. Il ne faut rien rejeter à priori. Voir pour cela par exemple « L’animation pédagogique dans les Espaces publics numériques ».
 3.Phase approfondissement
Il s’agit d’une phase importante qui permet aux participants de cristalliser leurs nouveaux acquis. Le plus souvent, il s’agit de mise en pratique en autonomie de ce qui a été appris dans la phase précédente. La forme de projet (collectif de préférence) est la plus courante.

Si les apprenants peuvent découvrir une solution, dans la mesure du possible, les laisser la découvrir plutôt que de la donner.

Encore une règle applicable pour éviter de rendre le formateur indispensable et développer à terme l’autonomie des apprenants. Le formateur n’est pas seul à connaître les solutions. Parfois, le formateur (qui devient alors médiateur) peut ne pas connaître les outils que les usagers sont en train de découvrir, ça ne devrait pas tellement changer le déroulement d’un atelier qui donne une place importante à l’autonomie des apprenants.

En pédagogie, d’après les courants médiationnels, un groupe peut découvrir et réaliser plus que ce que chacun des membres sait faire. L’animateur est alors un facilitateur ou médiateur. Il fixe une série d’objectifs atteignables par le groupe ce qui le fait progresser.

Dilemme pour l’animateur : comment donner l’initiative aux usagers même lorsqu’ils ne connaissent rien. L’animateur est tenté de montrer aux usagers avant de les laisser reproduire. C’est difficile pour l’animateur de ne pas tomber dans ce réflexe.

Il faut dire aussi que les usagers sont souvent en attente de recevoir et peuvent être déstabilisés si on leur demande de faire par eux-mêmes. Le mieux serait d’arriver à les faire faire sans qu’ils s’en rendent compte.

Une des qualité de l’animateur est alors l’humilité : ce n’est parce que je sais [l’informatique] que les usagers ont besoin de moi. Si l’animateur arrive à s’effacer, il a tout gagné. Peu à peu, les usagers prennent en charge l’atelier.

L’atelier devrait être préparé sans cet esprit. Mettre à disposition des éléments, plutôt que faire un cours.

Préférer la perspective d’un résultat plutôt qu’une tâche.

Il y a bien une différence entre la consigne « sélectionner le texte et cliquer sur le bouton Gras » et « mettez en gras le texte important ».

Cette préférence pour la seconde consigne correspond à la volonté de donner un sens à ce qui est fait par les usagers. Cela sert également à rendre transférable les actions indépendamment du contexte, du logiciel, de la production...

Cet aspect important de la conduite d’atelier est significatif de ce que pense l’animateur des capacités des apprenants. Le plus souvent, le formateur est un autodidacte (il a appris à utiliser un traitement de textes tout seul), mais considère que les usagers n’ont pas la capacité d’en faire autant. Ce paradoxe semble naturel tant il se répète. La formulation des consignes en résultats plutôt que tâches est un bon exercice pour aller contre cette tendance naturelle à considérer l’apprenant comme peu capable.

Pour un problème, il y a une multitude de solutions possibles.
Le formateur n’a pas la « science infuse ». Il n’a pas raison a priori de part son statut. Aussi, lorsqu’un résultat est attendu, les usagers ne sont pas forcés de faire de telle ou telle manière. Par exemple, pour mettre en gras un texte, on peut le taper puis le sélectionner avec la souris ou le clavier, puis utiliser le menu, le menu contextuel, le bouton, le raccourcis clavier ; on peut aussi se mettre en gras puis taper son texte. Ce qui compte, c’est le résultat. A chacun sa méthode préférée.

Cela n’empêche pas que certaines soient plus rapides/efficaces/transposables. Rien n’empêche à l’issue de l’action d’échanger sur les différentes manières de l’accomplir ; charge aux apprenants de choisir celle qui leur paraît leur convenir le mieux. Ce serait différent si on voulait former dans les EPN des professionnels de l’informatique pour qui la rapidité compte beaucoup. Dans le cas d’usagers classiques, il importera plus de viser les méthodes transférables et la réutilisabilité des données (par exemple, inviter à utiliser les styles, les titres...).

Proposer aux apprenants de réaliser une évaluation terminale des compétences

Comme expliqué plus haut, il est souvent nécessaire aux apprenants de pointer ce qu’ils ont appris pour qu’ils s’en rendent compte. C’est l’objet de l’évaluation des compétences.

Autant que peut se faire, une autoévaluation est préférable pour éviter l’idée de sanction. Tous les moyens sont bons : exercices, QCM, échanges. Il est fortement conseillé de faire référence aux objectifs énoncés en début d’atelier pour montrer la cohérence de l’ensemble.

Une évaluation formative est plus adaptée : il s’agit de constater l’évolution des connaissances avant l’atelier et à son issue. Comme cela, la comparaison est temporelle et personnelle. Inutile de savoir si mon voisin connaît plus de choses, ce qui m’importe c’est que j’ai progressé ou non.

Les réactions possibles sont que les usagers n’ont pas l’impression d’avoir beaucoup appris ou éprouvent le besoin de noter tout pour se souvenir. L’atelier n’est qu’un tremplin accélérateur. Aux usagers ensuite de pratiquer pour ancrer les nouvelles compétences.

Évaluer la satisfaction des apprenants en fin d’atelier.

Il est bon de se donner un temps pour que les participants puissent s’exprimer sur leur satisfaction. Cela donne de l’importance à leur avis, et par conséquent les mêle davantage à la vie de l’espace. Éventuellement, les avis peuvent être recueillis par l’animateur pour l’inclure dans son bilan pédagogique.

Toutes les formes sont possibles, en privilégiant de préférence la mise en commun de ces avis. Ce peut être tout simplement une question orale de l’animateur vers le groupe.

L’évaluation de la satisfaction est valable également pour un public d’enfants, même très jeunes. Les formes peuvent alors être adaptées. Par exemple pour des maternelles, on leur demandera de montrer leur satisfaction en baissant les bras (pas content) ou en les levant (content).


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